Death’s City 5
Death’s city 5
Il était de plus paranoïaque, se sentant coincé par son ignorance. « Je ne veux rien savoir, mais pour aider à la libération, j’ai fait du mieux que je pouvais ». Il était très fier de son engagement. En réalité, Claude avait plus peur de la trahison par ignorance que de la mort. La vie du Québec et la sienne n’étaient qu’une seule et même vie.
Puisqu’il croyait en son peuple, il ne pouvait malgré les risques que ça comportait s’empêcher de parler en classe ou ailleurs contre le régime répressif et de la beauté de l’action des maquisards. Par contre, tenant d’une liberté anarchiste, Claude ne pouvait accepter la rigueur fanatique de certains partisans. Il s’était beaucoup plus investi à améliorer le sort du peuple qu’à la rébellion quoiqu’il n’écartait pas cette voix si absolument nécessaire. Sa crainte de voir mourir des enfants le torturait au point de douter parfois que les armes soient le seul moyen de libération.
À son avis, il devait sûrement exister un moyen démocratique capable de faire respecter les Québécois et leur culture.
Conscient que plusieurs livraient un combat beaucoup plus par intérêt personnel que par patriotisme, il ne savait jamais par naïveté discerner l’ivraie du bon grain, Claude était souvent entraîné dans des aventures d’où il sortait toujours un peu dégoûté. À force d’être humilié, autant d’un bord que de l’autre, il décida de se suicider intellectuellement et psychologiquement en buvant le plus possible. Cette contradiction entre le besoin de poursuivre le combat et cet appel du néant continuèrent, à le ronger jusqu’à son arrestation. Il était devenu un être sans importance, sans influence, qui ne vit que du passé comme les robineux. D’une certaine façon, il s’en fichait, ayant toujours été écrasé, considéré comme un être de second plan, plein de promesses, mais trop faible pour monter plus haut que sa réminiscence d’une ou deux années de sa vie… avant de boire comme un trou.
— Ils peuvent me traiter de froussard, de mésadapté, d’ex-libéral. Ils peuvent me dire que je n’ai pas de talent et d’imagination, ils peuvent me barrer partout, mais n’empêche que l’on était bien heureux de me voir agir là et comme personne l’aurait fait. J’été hypocritement méprisé. J’ai commencé pur, franc, honnête. J’en suis sorti menteur par névrose, souillé par la haine et le désir de vengeance ainsi que voleur par nécessité.
Cette chambre à quatre sera à la fois la nouvelle demeure et la nouvelle communauté de Maurice, sauf au repas où les prisonniers allaient manger par groupe de cent en silence. Une vie de travail, des soirées à aller jouer aux cartes, à toujours reprendre les mêmes discussions, les mêmes remarques sur le camp.
Après quelques semaines, tous perdaient espoir, coupaient avec le passé et acceptaient qu’à moins de se tuer, il n’y eût qu’une chose à faire : oublier qu’il existe quelque part sur terre une autre forme de vie. Cette résignation était à la base d’une vie saine. Dans un tel endroit, il n’y a que la folie pour s’empêcher de « péter au fret ». Il se créait des liens à travers l’entraide, qui faisaient dire à plusieurs : « Avant j’avais des chums, maintenant j’ai des amis. » Tout le monde s’acceptait intégralement ou était complètement indifférent à l’autre. La tolérance étant strictement nécessaire pour ne pas rendre infernal ce décompte de l’agonie puisque l’on était bel et bien condamné à la mort.
N’ayant pas de privilégiés, peu de gens acceptaient de parler d’un passé trop saignant. Il était impossible de créer des castes pouvant dominer par la force à cause de la surveillance des gardiens, qui punissaient sévèrement les mouvements de colère. Il fallait apprendre à s’aimer ou à crever, travailler ensemble à améliorer la qualité de vie puisqu’il y avait aucun autre issu possible. Tout le monde savait que cette incarcération n’était rien d’autre leur agonie : vivre avec la mort dans la peau comme un cancer dont on connaît l’existence. Reste juste à savoir quand sera exactement la dernière minute.
Maurice fut affecté aux services de la cuisine. Il y travaillait très tôt le matin jusqu’à huit heures, le soir. Le directeur de ce département le méprisa dès la première journée, mais il ne put mettre à exécution tous ses plans d’humiliation puisque, durant de longs moments, le commandant du camp venait regarder travailler Maurice. L’officier ne parlait jamais, souriant à quelques rares occasions.
Cela n’empêcha pas Maurice de devoir voguer aux travaux les plus vils : vider les vidanges, nettoyer poêles, tablettes, toilettes, etc. Tout ce qui était désagréable à faire lui retombait automatiquement sur les épaules. De plus, le directeur du département trouvait toutes sortes de moyens pour l’écœurer. C’est ainsi qu’il se mit à exiger avec entêtement que chacun, même entre Québécois, se disent « sir », comme il l’avait appris dans l’armée. Ce sadique psychologue trouva moyen d’exiger que le lit de Maurice fût soigneusement fait, le matin, même s’il était le seul à devoir se plier à cette règle. Pendant les inspections sanitaires, il trouvait moyen de faire parader Maurice nu, jaune de gêne. Un jour, ayant refusé d’appeler son compagnon « sir », arguant, selon la Charte des droits de l’Homme, que cela était contraire à sa religion, Maurice fut obligé de laver le plancher durant une semaine à quatre pattes. Toutes les demi-heures, un directeur de service venait trouver une tache, l’obligeant à tout recommencer.
Heureusement, le dimanche, Maurice ne travaillait pas. C’était la vie communautaire à trois puisque Daniel ne participait que très superficiellement aux activités du groupe qui n’étaient pas tellement variées : marcher en bavardant, jouer aux cartes, faire des exercices physiques. Bientôt, les copains de chambre apprirent à créer un genre de petit carnet mondain, où les amours du camp, le passé des autres prisonniers et surtout leurs habitudes étaient largement discutés. Puis, petit à petit, chacun entrait un peu dans sa vie privée, laissant tomber un pan du mystère sur leurs pensées et leurs préoccupations. Cette nourriture à la source était si graduelle qu’elle ne semblait pas dangereuse. Parfois, quelques-uns, histoire de s’amuser, jouaient aux travestis. Mais il ne fallait pas faire de bruit, le plaisir étant aussi mal accueilli par les gardes que la violence.
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