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Un sourire d’enfer 72

avril 23, 2023

Un sourire d’enfer  72

(L’affaire Radio Centreville. Je m’excuse pour la longueur, mais je voulais la raconter dans un seul billet)

À Radio-Centreville, j’avais fait part à notre responsable de mon projet de mettre sur pied une série d’émissions qui porteraient sur l’homosexualité. 

Je ne faisais pas encore de nuance entre la pédérastie et être gai, mais je sentais qu’il y en avait une.  Le fossé s’est agrandi quand les féministes réactionnaires inventèrent le terme pédophile. C’était un moyen féminin pour écraser sa progéniture et propager la peur des femmes qui n’acceptent pas la sexualité parce qu’elles ont peur. Aussi, confondent-elles être «cruisées» et être violées. 

Les termes de relation intergénérationnelle n’étaient pas encore inventés.  On invente des termes pour définir des situations, ainsi, on doit en inventer d’autres au moindre changement.  Les mots servent à définir l’orientation morale.  

En principe, le projet fut vite retenu.  J’ai même commencé à organiser mes entrevues.  Ce projet était d’autant plus important que de nombreux gais vivaient dans le quartier.

Ayant longtemps travaillé dans ce milieu en écrivant des articles, il me semblait possible de facilement relever ce défi.  Je voulais dans ces émissions faire connaître toutes les versions du problème et particulièrement celles de ceux qui les vivent.    


C’était encore tout un problème de vivre gai. À part Montréal, la police avait souvent un comportement véritablement malade face aux gais, ces anormaux.

Un autre de mes projets étaient d’organiser le plus d’entrevues possibles avec les mouvements du quartier, suivre leur évolution à la semaine ou du moins au mois et fournir des blocs d’information aux émissions animées par les permanents.  Les médias sont pratiquement les seuls à permettre une évolution de la pensée. Un petit travers que j’ai gardé comme journaliste : la recherche de la Vérité.

Même si j’étais assisté social, j’avais un bagage de sept ans de journalisme. J’étais fou de pouvoir retourner dans le monde de l’information.  J’aurais travaillé gratuitement toute ma vie dans l’information tant je trouvais ça intéressant et important. C’est le métier le plus important, après l’éducation, pour aider une société à évoluer.  Ce métier permet à lui seul de pouvoir implanter une vraie démocratie. 

À mon avis, un bon journaliste se doit à la population qu’il dessert.  Aussi, il ne peut pas être un simple transmetteur d’informations, il doit s’assurer que ces informations sont pertinentes et surtout vraies.   Comment un journaliste consciencieux peut-il transmettre des informations biaisées pour un pouvoir quelconque ?  La vérité est le fondement absolu de l’information.  Puis, l’analyse devient tout aussi importante pour comprendre.

À mon avis, tout le monde devrait avoir le droit absolu de parole, tant que l’on ne prône pas la violence.  C’est un droit qui devrait même exister dans toutes les religions, chez les communistes, les capitalistes, les syndicats et les minoritaires.  Les gens décideront ensuite ce qu’ils veulent retenir.  La censure est le mépris de l’intelligence.

Ma lutte pour la liberté absolue de la presse est aussi vieille que mon expérience du journalisme.  Elle ne souffre aucun compromis.

Un dimanche, j’ai rencontré Gilles Laflamme, un animateur bénévole qui organisait quelques émissions chaque semaine. Gilles accepta mon invitation à venir prendre une tisane à la maison.  Nous avons discuté de la possibilité que je participe à ses émissions de poésie.  Gilles était un bonhomme intrigant et fort cultivé.  Un gars très agréable dans une discussion. 

Il fut convenu que celui-ci se servirait de certains de mes travaux pour alimenter ses émissions.  J’étais bien content.  Puisque Gilles semblait un gars ouvert, j’étais persuadé que ce serait très facile de travailler avec lui.

Octobre 1976.  Un vrai miracle. Bourassa a enfin déclenché des élections.  Je suis décidé plus que jamais à faire tout ce qu’il est en mon pouvoir pour le faire battre.

Certains étudiants en radio décident de s’informer à savoir ce que la station fera à l’occasion de cette campagne électorale.   La direction demeure silencieuse. J’écris une lettre, après avoir tenu une réunion à ce sujet, mettant la direction en demeure de nous recevoir et de s’expliquer. 

Durant ce temps, un étudiant s’informe auprès du Conseil de la Radio et de la Télédiffusion (CRTC) de nos droits.   Comme étudiant, nous proposons de faire un travail semblable à celui réalisé à l’occasion de la grève des hôpitaux et des transports publics.  Nous voulions réaliser des entrevues avec le public et rencontrer les candidats des comtés desservis par Radio-Centreville ou Cinq-FM.

Nous étions persuadés que la direction réagissait ainsi, en se servant de ses avocats, pour camoufler le désir d’autocensurer l’information, en réponse à un chantage appréhendé d’Ottawa.  La station n’avait pas encore reçu les subventions promises et devait se présenter bientôt devant le CRTC.  Nous n’avions pas l’intention d’accepter un tel bâillon d’Ottawa.

Nous avons obtenu une rencontre avec les dirigeants où nous avons fait prévaloir la pertinence de nos suggestions puisqu’aucune grande station de radio ne fait connaître les candidats locaux.  Il est important de savoir ce que ceux-ci nous réservent à l’échelle du comté.  Ces politiques influenceront directement la vie de quartier et une radio communautaire doit suppléer à ce manque d’information. 

Pour nous, tous les partis, même le Parti des travailleurs devaient avoir le même temps d’antenne.  Tout le monde devait répondre à nos questions. 

La direction de Cinq–FM prétendait que le CRTC obligeait les stations à consacrer un temps égal à chaque parti politique ; mais que ce travail devait être fait par les permanents seulement.

Les discussions en dehors des réunions faisaient mieux ressortir la vérité.

Cette attitude anti-démocratique visait un autre but politique qui servait les libéraux à maints égards.  Les permanents clamaient à toutes les cinq minutes qu’il n’était pas question d’accorder ne serait-ce que cinq minutes à Claude Charron, dont le comté faisait pourtant partie intégrante du territoire de Cinq-FM.  Les responsables nous interdisaient même de nommer les candidats péquistes de nos comtés. 

Pour toute information, le public avait droit à la lecture des articles du Devoir et du commentaire des permanents francophones qui appuyaient de plus en plus ouvertement le Parti des Travailleurs du Québec.  De toute évidence, les responsables de la station étaient anti-péquistes.

Je ne cherchais pas un affrontement avec les annonceurs.  Comme eux, je trouvais souvent le Parti québécois trop à droite.  Aux élections, j’optais pour un regroupement derrière le Parti québécois puisqu.il était le seul à pouvoir réaliser l’indépendance du Québec.

Il était évident qu’en élisant un gouvernement marxiste, jamais les Etats-Unis n’accepteraient une telle situation.  Je ne voulais pas du Chili à Pinochet au Québec.  La CIA est le pire ennemi de la démocratie.  On devrait parfois se demander le rôle que la CIA a joué dans les événements d’Octobre.

Pour éliminer les tensions et quand même aider la population du quartier, j’ai réalisé, lors d’une convention péquiste, un sondage à savoir quel était le problème le plus crucial du secteur.  Je rejetais, par autocensure, toutes les solutions se basant uniquement sur le besoin de changer de gouvernement.  Je voulais des solutions concrètes, à des problèmes concrets, pas du pelletage de broue.  Ainsi, hors de toute partisannerie, il était possible de faire ressortir les besoins de la population et leur faire émettre leurs opinions quant à la solution.


Il fut établi hors de tout doute qu’au Centreville de Montréal, le problème numéro un était le logement.

J’ai voulu organiser des entrevues sur ce problème.  Le responsable de l’organisme, Sauvons Montréal, Michael Fish, a accepté mon invitation. 

Dans une longue entrevue, il résumait la situation et prenait position contre le socialisme.  Même si à mon avis, il se trompait, l’impartialité demandait que son opinion soit entendue.  J’ai élaboré le montage de deux entrevues à être diffusées séparément.

Entre temps, j’avais commencé à travailler pour Lyne Bourgeois, candidate péquiste dans St-Louis.  Ma participation fut à peu près nulle. J’étais quasi ignoré.  Devant cette inutilité, j’ai offert mes services dans le comté de Mercier où j’ai été accepté comme représentant de Gérald Godin, un poète et dirigeant à Québec-Presse. On se connaissait déjà.  J’étais encore plus ravi de lui donner un coup de pouce.

J’étais bien fier de faire du porte-à-porte. J’apprenais ainsi à mieux connaître les objections de la population à la souveraineté-association.  Dans Mercier, une forte partie de la population est âgée.  Les libéraux leur faisaient croire toutes les peurs possibles et impossibles.  La plus caractéristique était de prétendre que les personnes âgées perdraient leur pension de vieillesse avec l’avènement du Parti québécois.  Le PQ est au pouvoir depuis deux ans et rien de cela n’est encore arrivé.

Je prenais ce travail bien au sérieux.  Je me suis même rendu à une joute de hockey pour réaliser la véracité des dires d’un électeur qui faisait ressortir le besoin de construire un nouvel aréna pour répondre aux besoins de la population du centre de Mercier.

L’atmosphère dans le clan Godin était nettement meilleure.  La méfiance n’existait pas comme dans St-Louis où plusieurs cherchaient des postes plutôt que de remporter l’élection.

Apprenant que Lyne Bourgeois et Harry Blank devaient se rencontrer à la réunion de Sauvons Montréal, j’ai obtenu la permission de Cinq-FM de couvrir l’événement pour la radio.

Le lendemain, lors de l’entrevue en direct, j’en ai profité pour contrevenir à l’ordre absurde de ne pas nommer la candidate du comté.  J’ai rappelé que Lyne Bourgeois a sommé le député libéral sortant de se présenter dans un débat public.  Quand je parlais de la candidate péquiste, je l’appelais Lyne Bourgeois quand je parlais d’Harry Blank, je le nommais  » le candidat libéral sortant ».  Une guerre de bébé finalement. Faire le contraire des ordres parce que je les trouvais antidémocratiques alors que je ne faisais pas mieux.

Ce fut le scandale.  Les discussions ont repris à plus vive allure.

 — Le Parti québécois est un parti de bourgeois.

— Même s’il est souvent à droite, il est le seul à pouvoir réaliser pacifiquement l’indépendance.

— En appuyant un parti de gauche forcément minoritaire, c’est faire le jeu des libéraux.

Petit à petit, j’ai pris conscience que sur certains points secondaires, j’étais éloigné du Parti québécois ; mais je l’étais encore plus sur l’essentiel de la pensée de ces nouveaux curés du marxisme.

Je commençais à saisir les nuances entre la gauche et la go-gauche.  Cette dernière est fanatique et anti-démocratique, tout le contraire de la vraie gauche.  Elle vise qu’à renverser le capitalisme et elle se fiche bien de la population en autant que sa pensée pénètre, que le message passe.  Elle caricature tellement la gauche qu’elle entraîne un appui au statut quo.

Pour les adeptes de la go-gauche, rien n’existe après Marx.  Aussi, comme Marx, ils rejettent tout nationalisme.  Selon eux, le nationalisme, c’est un nouveau péché.

Pour la go-gauche, très souvent infiltrée par la GRC, le Parti québécois est un ennemi terrible.  Tout en étant de centre-gauche, le PQ laisse entrevoir la possibilité d’une société nouvelle qui ne rejette pas carrément intégralement le capitalisme, mais essaie plutôt de le civiliser, tout en intégrant pas complètement le marxisme.  C’est le rejet du Chili de Pinochet et de la Russie, ce nouveau pays dominé par le capitalisme d’état.
 
Il a fallu peu de temps pour que je sois identifié comme petit bourgeois.  Je comprenais de moins en moins : comment puis-je être un petit bourgeois tout en étant sur le bien-être social.

Ma participation à Radio Centreville devenait de plus en plus une guerre ouverte.    


J’ai à nouveau rencontré Gilles Laflamme et nous nous sommes entendus à l’effet que je participerais en direct à son émission.  Nous avons établi une feuille de route qui comprenait une entrevue avec le président de Sauvons Montréal, Michael Fish, sur le problème du logement ; quelques farces sur les pannes d’électricité appréhendées ; l’annonce d’une série d’émissions sur l’homosexualité. 

Être gai ne concernait en rien Gilles puisque ce n’était pas son orientation sexuelle.

Dans une seconde partie, je ferais part de mes expériences à la Tribune et de mes voyages dans l’Ouest.  Le tout devait aussi présenter une lecture de « Speak White« , de Michèle Lalonde.

Je voulais y mettre le paquet, tout en respectant les ordres de la direction.  J’étais encore très loin de considérer l’équipe comme des ennemis.  J’espérais qu’elle se rallierait à mon point de vue : il faut profiter des élections pour décrocher des solutions aux problèmes des gens que l’on dessert.

Je rêvais en couleurs.  Pour les permanents, j’étais la pourriture introduite dans un panier de bonnes poires.

À mon arrivée à la station, avant d’entrer en ondes avec Gilles, j’en ai profité pour travailler à d’autres montages.  Je m’attendais à de vives protestations de la direction, si le contenu de l’émission leur était connu avant.  Si mes craintes étaient justifiées, tout ce qui pourrait aider directement ou indirectement le PQ serait interdit.  La liberté d’expression était encore une fois menacée… Je m’en faisais encore une fois le défenseur, même si parfois je n’utilisais pas les bonnes armes.

Pour moi, la situation était devenue plus claire : la station était de toute évidence au service indirect des libéraux, l’objectif étant de diviser les votes nationalistes entre les gens de la droite et de la gauche. 

Parfois plus paranoïaque, je pensais que la station était entre les mains des Américains, car le principal responsable était un Américain.   Donner le droit d’opérer une station libre permet de bien savoir ce qui se passe aussi dans l’opposition.   De toute évidence, elle était l’instrument de la gauche anglophone, juive et grecque, donc, carrément opposée à la libération nationale.

La transmission, pour les immigrants, d’émissions traitant des révolutions un peu partout autour du monde n’a rien de rassurant.  La plupart, venant de pays qui viennent de connaître une révolution, craignent d’être repris dans un autre piège.  Comment les rassurer ?  Certainement pas en essayant de créer dans leur esprit un parallèle entre le Québec et les pays où la révolution a tout saccagé.

Certains craignaient que je parle sur les ondes de ma campagne-devinette sur Bourassa.

— Avec Simoneau, on peut s’attendre à tout. C’est un maudit voyou. 

Je travaillais docilement, étonné du grand nombre de permanents en studio.  Un premier coup de téléphone retentit et selon les expressions, il était évident que l’on parlait de moi.

— Y parait que tu dois passer à l’émission de Gilles ?

— Oui, Il en est responsable et il m’invite.

— Mais, il n’a pas le droit de faire des entrevues.  Il a été entendu à son arrivée qu’il présentera seulement de la musique.

Le coup de téléphone visait à avertir les dirigeants de ma participation et probablement de mon intention de ne pas vouloir y mettre la pédale douce.  L’atmosphère était déjà très tendue.

Qui avait appelé pour me dénoncer ?  Qu’avait-on pu leur faire croire pour qu’ils craignent mon intervention à ce point ?  Avais-je encore un ami qui servait de « stool » au système ?

Quelques secondes plus tard, Gilles laissait traîner la feuille de route comme s’il avait voulu que les responsables prennent connaissance du contenu de l’émission.  Évidemment, elle fut miraculeusement trouvée par un des permanents.

Je lui ai fait remettre à Gilles.  Nerveux, celui-ci la laissa à nouveau traîner avant d’être ramassée par un autre responsable.  Le fouillis général commença. Tous les moyens devaient être pris pour m’empêcher d’entrer en ondes. 

À leur avis, il s’agissait d’une émission trop pro-péquiste.  Pourtant, en aucun endroit le Parti québécois n’était nommé.  Est-ce que j’avais simplement à raconter ma vie pour que ce soit une claque aux libéraux ?


Les Anglophones de Cinq-FM ont décidé de faire intervenir la responsable de l’équipe francophone, sous prétexte qu’elle avait plus de facilité à discuter avec moi.  Dans de telles circonstances, je deviens très peu coopérant, manifestement sarcastique, polisson, pour ne pas dire carrément baveux.

J’ai accepté après, une courte discussion, de prouver ma bonne volonté en enregistrant l’émission avec Gilles pour la faire approuver après coup par l’équipe francophone avant de la diffuser.

L’argument de la responsable était valable.   » Comment pouvait-elle me faire confiance après le coup de Lyne Bourgeois, ayant déjoué les prévisions et refusé d’obtempérer aux règles de la radio communautaire ? « 

J’étais prêt à quitter le studio quand Gilles m’a invité à participé quand même à son émission.  Je ne pouvais pas refuser.


 « Dès que j’aurai fait l’émission, je serai accusé d’avoir occupé illégalement les ondes d’une station de radio », me dis-je.  

Au micro, tandis que des responsables s’installaient de chaque côté de nous pour nous épeurer, je dénonce la censure de cette émission.  J’annonce, après avoir raconté ce dont j’aurais normalement dû parler que mon cas sera réglé le lendemain.  Je quitte la station le poing en l’air. Un signe révolutionnaire.
 
Même dans cette dénonciation de la censure, je me suis conformé aux règles établies.  En acceptant d’enregistrer l’émission, je prouvais que notre émission ne serait ni partisane, ni de la propagande péquiste.

Ce travail complété, nous avons été reçus par l’équipe francophone.  Elle refusa, cette fois l’émission en camouflant les vrais raisons qui étaient, elles, strictement politiques.

La direction refusait l’entrevue avec Michael Fish, prétendant que la station ne travaille pas avec Sauvons Montréal, un organisme dont on ne connaissait pas les vraies attaches. La réalité était plutôt que la direction soupçonnait Michael Fish d’être péquiste, car celui-ci travaillait avec le Parti Québécois de Saint-Louis dans deux dossiers : le mont Saint-Louis et l’institut des sourds-muets, je crois.

Quant à la série d’émission sur l’homosexualité, annoncée pour bientôt, la direction prétendit n’en avoir jamais entendu parler.  Elle affirmait préférer travailler avec le CHAR, groupe qui venait d’être dissous.  Puisque je connaissais très bien le fondateur-responsable, j’en savais quelque chose.

Quant au moment où je racontais comment et pourquoi j’avais dû quitter La Tribune, cela était évidemment indirectement politique, car, quatre ans après, Bourassa se trouvait confronter aux mêmes accusations qui m’avaient valu d’être chassé des Vauxcouleurs en 1972.  Les responsables me disaient qu’ils étaient contre, car selon la politique de la station, il .était interdit  de diffuser des entrevues avec des individus, on préférait celles faites avec des groupes.

Ainsi, je venais de me faire avoir encore une fois.  Il est impossible d’être honnête au Québec sans se faire rouler.  L’émission ne serait jamais diffusée.

De toutes les raisons invoquées, une seule chose transparaissait : L’émission ne faisait pas l’affaire des libéraux.

De tous les reproches, je n’étais d’accord qu’avec un : c’est probablement vrai que je me prends pour un autre.  Je me croyais un révolutionnaire et j’étais prêt à mourir pour changer le monde.

Notre travail en vue d’obtenir des entrevues avec les candidats avaient aussi porté fruit.

Une table ronde devait être organisée pour répondre aux normes du CRTC. Or, la station a fait parvenir une seule invitation à la candidate péquiste de St-Louis, Lyne Bourgeois.  Elle était invitée à participer à une table ronde avec les représentants de tous les partis en lice, mais en anglais seulement. C’était l’insulter.

Cette cerise sur le gâteau a fait déborder le vase.  Même si l’on m’avait dit que jamais je ne remettrais les pieds à la station, si je portais plainte contre Radio Centreville, j’ai commencé à préparer la dénonciation de cette censure au Conseil de Presse et au CRTC.

Je venais de trouver une nouvelle raison d’être contre la go-gauche : elle ne respectait absolument pas la liberté d’expression, le droit de parole à ceux qui ne partagent pas son point de vue. Elle refusait la liberté d’opinion.

Je n’en n’avais pas contre le fait que les responsables de la station favorisent le Parti des travailleurs du Québec, c’est leur droit.  Cependant, je ne pouvais pas admettre qu’on ne fournisse pas à tous les clans politiques le droit de s’exprimer et encore moins qu’on insulte la candidate péquiste du comté de St-Louis.

Cette aventure me mettait dans une drôle de position : j’ai toujours été, jusqu’à un certain point, plus ou moins ouvertement, rejeté par le Parti Québécois, sous prétexte que je suis trop radical, trop à gauche ou pire pédéraste. 

Or, pour faire nouveau, voilà que j’étais rejeté par la go-gauche parce que je suis trop bourgeois, trop à droite. J’étais un fanatique quand je me battais pour une cause.  Je n’ai jamais pu accepter la censure. La censure était et reste pour moi une offense à l’intelligence humaine.

Je ne comprenais plus rien.  Se pouvait-il que les mouvements de contestation que j’admirais soient sous la gouverne de la gauche anglophone ?  Faudrait-il comprendre que non seulement les francophones du Québec sont dominés par les « Big boss », mais aussi par l’establishment des mouvements de contestation?  La go-gauche n’est-elle pas caricaturale dans sa dénonciation sociale dans l’espoir d’effrayer les gens et les pousser à se sécuriser en réélisant les libéraux ?

La situation la plus payante est quand un système contrôle les deux extrêmes et les font agir selon ses caprices.  Est-ce moi qui étais totalement dépassé ?

Chose certaine, les mouvements de go-gauche étaient bien implantés dans les secteurs hospitaliers, les CLSC, le logement, le bien-être social, au Centre de référence des femmes et certains autres mouvements féministes radicaux.  Pouvaient-ils tous servir contre la population pour avantager une idéologie ?  Si tel est le cas, la révolution culturelle au Québec, n’est pas pour demain.  Où finit la gauche à laquelle je m’identifie politiquement et commence la go-gauche ?  Je crois dans un mouvement politique qui recherche le bien du peuple et non son propre bien en priorité.


J’étais intérieurement très divisé entre le nationalisme et mon penchant naturel à considérer l’analyse marxiste comme une des meilleures.

C’était peut-être là, la différence, l’analyse marxiste donne une bonne idée de la situation, mais quand il s’agit de proposer des solutions, elle est souvent complètement dans la merde.

À la maison, Ted devenait de plus en plus écrasant.  Il voulait savoir comment se présentait les élections.

Je ne lui faisais pas complètement confiance à cause de la violence de son discours et surtout parce qu’il était issu des Jeunes Canadiens, un mouvement que les journaux ont décrié comme étant complètement infiltré par la GRC.

Devant mon peu d’intérêt à tout lui raconter, Ted décida d’employer les grands moyens.  Sa violence verbale, loin de me faire ouvrir la trappe, me portait à être encore plus méfiant. Cette situation rendait les élections encore plus électrisantes.

Le jour du scrutin, alors que je travaillais pour Gérald Godin, Robert Bourassa fit son entrée.  Il donnait la main à tous ceux qui y travaillaient.

Quand il s’est présenté à moi, j’ai refusé de lui serrer la main.  Bourassa est devenu un peu plus rouge et son entourage sembla tout à fait décontenancé.  Bourassa fit quelques pas, puis, se retourna vers moi et dit :

— T’as bien la face du parti que tu représentes.

— Laisse faire mon Bourassa, tu as assez écrasé les gens de l’Estrie, des Vauxcouleurs, que jamais on ne t’oubliera.

La représentante libérale qui trouvait que mon geste n’était pas très poli se dit  étonnée de l’attitude de Bourassa.

— Ce n’est pas la première fois que des gens refusent de lui serrer la main aux élections, mais jamais je ne l’ai vu réagir aussi violemment.  Habituellement, il leur passe la main dans les cheveux en leur disant que le «péquisme» leur passera.
    
Je lui ai expliqué que Bourassa et Jean Marchand étaient, selon ce qu’on m’avait raconté, les responsables de mon renvoi à La Tribune de Sherbrooke.

 » Ils ont fait pression pour me faire perdre mon emploi, mon assurance-chômage et mon bien-être social.  C’est à mon tour d’essayer de lui faire perdre sa job. »

La dame dit comprendre ma réaction et m’avoua que ses enfants étaient tous membres du Parti Québécois.

À la fin de la journée quand Bourassa réapparaissait dans le décor, il se tenait à l’autre bout de la salle.

Le soir, je n’étais pas encore sorti que les résultats étaient déjà connus.  J’avais peur que les libéraux volent les boîtes de scrutin et qu’ils en changent le contenu.  Cela c’était déjà vu.  C’est toute la confiance que j’ai dans l’honnêteté des libéraux.

À mon arrivée au rassemblement des supporteurs de Gérald Godin, j’ai été accueilli par la grande nouvelle.  Je n’osais pas le croire :

      » Godin élu, le Parti Québécois majoritaire. »

J’aurais pleuré de joie, mais la surprise était trop grande pour y croire, même si depuis une semaine, j’étais convaincu que le Parti Québécois serait élu, à moins que les libéraux réussissent à voler les élections ou fassent un coup de cochon sans précédent. Ça semblait tenir du rêve.

J’ai été dénoncé au Conseil de presse pour avoir occupé illégalement une station de radio puisque j’avais participé à l’émission de Gilles Laflamme sans l’approbation des dirigeants de la station.  Mais que pouvais-je faire autrement, si je voulais que la vérité soit connue ?

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