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Un sourire d’enfer 57

avril 8, 2023

Un sourire d’enfer  57

En prison, les vapeurs montaient du côté de certains gardiens.  Ils parlaient de grève pour rétablir la peine de mort.  Quelle vacherie ! 

Plusieurs gardiens n’avaient pas la fièvre de voir monter des gars à la trappe, une trappe qui existait encore et qui donnait sur la cour où nous allions jouer tous les jours. 


Ces gardiens dissidents étaient ceux qu’on aimait le plus, car ils se comportaient humainement avec nous. 

Les gardiens en chaleurs, assoiffés de sang, se recrutaient surtout dans l’équipe de nuit et dans l’administration.  Dans le personnel de jour, ils étaient de toute évidence en minorité.

La peine de mort ne diminue en rien le taux des meurtres.  Elle ne règle rien.  Ce sont toujours les plus religieux qui en exigent l’application, surtout que leur religion dit que seul Dieu a droit de vie et de mort.  Ils veulent du sang pour mieux aller communier.  Ils s’identifient à la victime. Ils se croient les remplaçants du grand protecteur. 


La peine de mort est un moyen pour certains policiers de combattre la peur.  Pourquoi les banques, étant assurées, les policiers essaient-ils, lors d’un hold-up, de prendre les bandits sur le fait ?  L’argent vaut-elle plus qu’une vie humaine?  C’est au système de trouver un moyen moins dangereux de protéger le fric.

Les caméras de surveillance ont été une bonne invention en ce sens. Ça permet de verser moins de sang et d’éliminer le risque de tuer des individus.

À Bordeaux, nous avions deux prisonniers condamnés à la mort.  Chaque fois que je les rencontrais, je songeais à un passage de Genet en amour avec un condamné.

Chartrand était un gars très sympathique qui n’a jamais pu avoir justice, car, on lui refusait un nouveau procès.  Tout le monde l’aimait bien.  Toutes sortes de légendes circulaient à son sujet.  S’il avait été pendu, Bordeaux aurait été noyé des larmes des prisonniers et même celles de plusieurs gardiens.  Chartrand nous apparaissait comme le symbole parfait de l’injustice. Il voulait être exécuté, écœuré du sadisme de notre système judiciaire.


L’autre condamné à mort était américain.  Il était grand, fort, d’un regard glacial.  Il te gelait bien dur quand il te dévisageait.  L’histoire sur son sujet était à l’opposé de celle de Chartrand.  Il tuait, disait-on, de sang-froid.  Pour s’évader, il s’était déjà emparé de prisonniers pour en faire des boucliers. 


Quand il passait près de moi avec ses gardiens, je m’approchais toujours pour mieux le voir.  J’en avais la chair de poule.   Pourtant, je le respectais.  Je n’arrivais pas à concevoir que très bientôt ce serait un cadavre.


Qu’est-ce que la vie ?  Quelle différence entre un corps vivant et mort ? Pourquoi en est-il ainsi ? J’aurais voulu voir à travers lui le visage de la vie, de sa force inintelligente, brutale.  Cette « différence » qui fait qu’un individu marche plutôt que  pourrir. 

Un matin, les gardiens ont commencé leur grève de zèle.  Nous étions retenus dans la salle commune plutôt qu’en cellule.  La tension montait. Cela entraînerait-il une manifestation ?  Qu’arriverait-il ?  La violence s’insinue facilement dans de telles occasions.  Des prisonniers appelaient à la révolte.   Nous étions sur les 100,000 volts.  

Les gardiens aimés dans notre secteur sont venus faire leur tour et assurer tout le monde que nous n’aurions pas à payer pour leur action.  Ils ont presque aussitôt réussi à faire baisser la tension.  Cette journée de grève se passa bien.  Nous avons même été plus libres qu’à l’habitude. 

En prison, le sentiment de frustration est si grand qu’il ne faut presque rien pour que la situation dégénère en violence.

Un autre événement a attiré mon attention.  Un groupe de jeunes ont fait danser un vieux robineux.  À cause des applaudissements, celui-ci s’exécuta comme s’il devenait une vedette.               

Les gardiens l’ont amené dans le trou, malgré nos protestations.   Il n’avait rien fait de mal, sinon de détendre l’atmosphère. 

Un autre prisonnier cherchait à obtenir son transfert.  Il était malade dans la tête de toute évidence.  Pourquoi lui refusait-on d’aller dans une autre prison où il serait soigné ?  

La pire chose qui existe en prison est le comportement des normaux vis-à-vis ceux que l’on croit fous. Quant aux crimes sexuels, les accusés sont en danger perpétuel d’être sévèrement battus,  d’où sont-ils aujourd’hui dans une aile de protection.

Le tour de la libération de Roger était arrivé.  Il me demanda de l’accompagner seul à sa cellule, où il me fit ses aveux.

— J’ai un aveu à te faire.  Je ne suis pas professeur.  Je suis prêtre. J’ai été reconnu coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec une petite fille, mais je suis innocent. 

Le problème ce n’est pas qu’il ait eu une aventure si elle était partagée, mais qu’on ait des lois assez folles pour ne pas faire la nuance entre une aventure consentie et jouie par les deux partenaires et une relation où il y a violence ou domination claire. 

C’est ainsi au Québec parce qu’on refuse de revoir nos notions sur la sexualité. Pour nous, tout ce qui est sexe en dehors de la procréation demeure le péché par excellence. On se fiche de ce que la science nous a appris. On préfère des lois qui reposent sur l’ignorance et la répression.  On voit la sexualité comme la répression nous l’a appris.

Il m’expliqua comment s’était déroulée la soirée et comment il a été faussement accusé. Ça fait tellement longtemps que je ne me rappelle pas si ça avait du sens.  Avec l’attitude de la société face à ces situations tout le monde a intérêt de mentir. On ne cherche pas le bien des accusés et encore moins celui des victimes. On ne veut qu’interdire toute forme de sexualité en dehors de ce que l’on a décrété normal.  Plaisir et violence sont synonymes dans la tête de ceux qui appliquent la loi.

Roger connaissait Jérôme Choquette parce que ce dernier venait de se convertir à un nouveau mouvement charismatique.   Je comprenais maintenant pourquoi nos discussions portaient surtout sur la religion.

J’étais renversé.  Roger était prêtre. Il a conclu la discussion en affirmant qu’il m’avait trouvé bien courageux de m’entendre raconter mon aventure avec les petits gars, sans peur, ni honte. Je suis pédéraste et je l’assume, car, il faut trouver une solution humaine à savoir comment vivre cet état qu’on ne choisit pas, mais qu’il faut endurer, bien malgré nous.  

Est-ce qu’un aveugle passe son temps à brailler sur son sort ? Absolument pas.  Il faut agir de la même façon. Faudrait-il être malheureux toute notre vie pour un choix qui ne nous appartient même pas ou trouver une manière de la vivre sans créer de problème ? 

C’est pourquoi j’en parle dans mes écrits. Pour qu’on y réfléchisse.  Cependant, je suis bien d’accord avec mes ex-psychiatres, c’est la société qui est un danger pour les pédérastes, car elle devient folle dès qu’il est question de sexualité. 

Nous souffrons de mauvaise éducation quand il est question de sexualité.  Nous vivons à plein tube les effets de l’histoire de la répression sexuelle. Nous sommes les victimes du fascisme qui existe en tous les humains. Le petit groupe à haïr pour se défouler.

Les prochains jours ont été beaucoup plus longs, car j’avais perdu trois amis.  Augusto ne voulait plus me parler parce que j’avais dit que les immigrants nuisaient au Québec en envoyant leurs enfants dans des écoles anglophones.  Il ne voulait rien comprendre. 

Pour les immigrants, la tentation anglophone est grande.  Cela signifie une plus grande possibilité d’emploi et un élément de plus pour favoriser leur passage ailleurs au Canada ou aux Etats-Unis, le pays qui les attire vraiment.  Ceci dit ne veut pas dire que tu es contre l’immigration.  J’étais bien peiné qu’il ne saisisse pas la nuance.  J’ai longuement discuté avec le Cid et son ami Gérard, le jeune freak de Drummondville, qui me l’avait présenté.

Gérard me demanda si, en manifestant toujours seul, je ne faisais pas, sans le vouloir, le jeu du système.  Je ne pouvais pas voir comment cela serait possible.  Je préférais agir seul justement pour ne pas impliquer personne d’autre.  Et surtout, si cela était possible pourquoi serais-je derrière les barreaux ?  Je serais plutôt payé.

Gérard a vite convenu de la justesse de mon raisonnement.  Pourtant cette question m’a trotté dans la tête pendant quelques jours.  Elle méritait d’être posée… on ne sait jamais.  J’ai la conscience très fragile de ce côté-là.  J’aurais été le plus malheureux des gars s’il avait fallu qu’il subsiste un seul doute après cet examen de conscience. 

Je ne pouvais pas me tromper, le bilinguisme ne sert qu’à protéger la minorité anglophone au Québec. 

Il permet à la majorité anglophone canadienne d’espérer qu’un jour le Québec sera aussi anglais que le Manitoba.  Il suffit de voir leurs efforts contre la loi 101 pour comprendre que c’est vrai. Quand Trudeau défend-il le fait français ? 

Pourtant, Ottawa subventionne les mouvements qui s’attaquent à la loi 101.  Comment espérer qu’un jour le Canada respecte les francophones quand tous les partis fédéraux rejettent les propositions culturelles de la Commission Pépin-Robarts ?


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