Un sourire d’enfer 56
Un sourire d’enfer 56
En jouant aux cartes, parfois, je faisais ouvertement des propositions à Éric, question d’avoir un peu de plaisir. Je commençais à lui passer les doigts sur les cuisses qu’il enlevait aussitôt. Je faisais des scènes à Roger, disant qu’il m’avait enlevé Éric. Nous nous amusions bien à travers ces comédies instantanées. Pour plusieurs, cela était totalement la vérité. C’est ainsi que nous nous sommes mérités l’amitié de toutes les grandes et des costauds qui les protégeaient.
Les gardes riaient bien de toutes ces paroles en l’air. L’atmosphère était très détendue. Le plus drôle, j’ai appris en dehors de la prison qu’Éric était vraiment gai.
Ma bonne conduite m’a permis d’obtenir une libération conditionnelle de trois jours afin d’aider Suzanne à déménager de façon à ce que nous soyons plus près de l’école libre. C’est avec anxiété que j’ai attendu ce moment.
Je me suis présenté au gardien avec la nouvelle que je venais d’écrire afin de la sortir ainsi sans censure si possible. Les messages contre Choquette, je les écrivais habituellement sur des papiers à l’extérieur des enveloppes de façon à ce que les gardiens puissent les lire et ne soient pas tentés d’en faire autant de mes autres textes. Une autre façon de faire de la politique. Je me suis présenté avec mon texte.
— Qu’est-ce que c’est ça ?
— Une nouvelle.
— Une nouvelle ?
— Bien oui. Il y a des romans et de des nouvelles littéraires. Les nouvelles sont, si tu veux, des petits romans très courts.
— Le gardien semblait encore plus perdu. Il estampilla le texte et je sortis sans qu’il ne lise une ligne.
Ce fut une fin de semaine invraisemblable. Le Richelieu profitait des premières chaleurs de l’été pour gazouiller dans les verts abords de la rivière. J’étais au paradis avec Suzanne et les deux petits. Une fin de semaine mémorable de bonheur.
Le dimanche, j’ai décidé, en retournant en prison, d’apporter de la cire pour un compagnon qui créait de petits pendentifs intéressants.
Je l’ai d’abord caché dans mon pantalon, mais à mon arrivée à la barrière, j’ai cru que je serais immédiatement fouillé. Certain d’être pris, j’ai enfoui la main sous ma ceinture. Les gardiens ont blanchi. Je leur ai donné les cierges. La tension a immédiatement diminué.
Ils avaient cru sans doute que j’avais une arme.
— Pourquoi cette cire ?
— Pour sculpter.
— En as-tu beaucoup comme ça ?
Je ne comprenais rien. Je pensais qu’on avait découvert quelques chose d’irrégulier, mais quoi ? J’avais peur de compromettre Suzanne qui m’avait donné la cire.
Les officiers m’ont fait croire que je pourrais avoir plus de temps pour avoir amené cette cire. J’ai su seulement deux jours après que je n’en entendrais plus parler. Pourquoi m’avoir fait autant peur pour rien. Je venais de vieillir de deux ans en deux jours. Quand on n’est pas un bandit, on ne pense pas à tout ce qu’ils peuvent inventer.
J’ai compris beaucoup plus tard, en y réfléchissant et à la suite d’un film, qu’effectivement la cire pouvait être dangereuse, dans le sens, que certains pouvaient s’en servir pour faire des armes de poing. Je n’avais même pas effleuré cette idée. Il faisait de jolis pendentifs, c’est tout ce que j’avais vu.
Nous étions à jouer aux cartes, quand un jeune que je ne connaissais pas s’est présenté en demandant à parler à l’ancien journaliste que j’étais.
— C’est moi.
— C’est écœurant ce qui t’arrive, mais ils le paieront au centuple. On ne met jamais la conscience d’un peuple en prison.
C’était très élogieux, mais je refusais de plus en plus à me percevoir comme aussi important. Je ne voulais pas m’enfer la tête et devenir encore plus paranoïaque. J’avais déjà assez de misère à savoir si j’étais là pour des raisons de mœurs, comme ils le disaient, ou politiques.
Le jeune m’apprit qu’un Mexicain était aussi prisonnier pour des raisons politiques. Celui-ci était complètement désespéré.
Le Cid Magané (comme je l’appelais) avait été arrêté pour rien en 1970 et déporté. Sa famille était au Québec, il est revenu dans le but de s’installer et de s’occuper de sa famille, son épouse, son garçon et sa fillette. Son histoire faisait vraiment pitié. Je n’aurais jamais cru que l’immigration fédérale s’en prenne aussi atrocement aux immigrants.
Le Cid était en prison depuis plusieurs jours pour des accusations, qu’il me garantissait en larmes, absolument fausses. Il ne savait pas quand aurait lieu son procès et pourquoi encore une fois l’immigration voulait le déporter.
Il était évident que je ne pouvais pas faire grand-chose pour lui, sauf avertir le représentant de la Justice au Parti québécois, Me Robert Burns, en qui j’avais toute confiance. Il fallait aussi alerter le seul quotidien indépendantiste, le Jour. Mais comment ? C’est ainsi que j’ai recommencé à inventer des moyens pour parvenir à expédier des lettres clandestines qui échapperaient à la censure.
Puisqu’il en était ainsi, je me suis fait apporter deux copies de Il était une fois les Cantons de l’Est que je distribuais aux prisonniers qui voulaient le lire. Tant qu’à être en prison à cause des libéraux, autant leur faire regretter leur geste. J’étais respecté et plusieurs voulaient lire mon livre. Quant à Re-jean, il se promenait aussi en prison, mais dans des circuits plus spécialisés.
Jérôme fut le premier à quitter Bordeaux Beach. Il était heureux comme un enfant.